L'animation en France et ses analogies à l'étranger
théories et pratiques - état de la recherche
INTRODUCTION AU COLLOQUE


      Isiat

Accueil ] PRESENTATION ] [ INTRODUCTION AU COLLOQUE ] PRESENTATION SCIENTIFIQUE ] SEANCE INAUGURALE ] PARTICIPANTS ] INDEX DES AUTEURS ] COMITE SCIENTIFIQUE ] CORRESPONDANTS SCIENTIFIQUES ] RAPPORTS DES ATELIERS ] CONCLUSIONS ] PREPARATION ] Archives Colloque 2003 Bordeaux ] LIENS INTERNATIONAUX ] FORUM - ECHANGES ] RESEAU INTERNATIONAL ]

Présentation du colloque : 

« L’enjeu principal de l’animation :
penser l’agir local et agir le penser global »
,

"La puesta principal de la animacion :
pensar en el actuar local y actuar el pensar global"

par Jean-Claude GILLET,
professeur en sciences de l’éducation (Université de Bordeaux 3),
coordonnateur du comité scientifique du colloque.

 

Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs,

 Fallait-il un grain de folie pour entreprendre cette aventure à laquelle j’ai consacré deux ans et demi de ma vie professionnelle et personnelle !

 Et pourtant, il est là, ce colloque, et vous tous, avec moi, nous allons tenter d’en faire un moment fondateur d’un processus de renforcement théorico-pratique de « l’animation en France et ses analogies à l’étranger ».

 Certes, je n’oublie pas tous ceux qui ont aidé, soutenu, encouragé l’initiative, que ce soit scientifiquement, matériellement, financièrement, moralement : vous-même, Monsieur le Président, plusieurs ministères, des collectivités territoriales, des ambassades et de nombreuses institutions dont la liste est sur la plaquette que chacun d’entre vous possède. Il faut citer aussi mes collègues du département Carrières Sociales de l’IUT (avec son président Jean-Luc Flipo et son directeur, Daniel Garrec), sans oublier tous les personnels des différents services de l’IUT, de Bordeaux 3, de la Maison des Sciences de l’Homme d’Aquitaine et de la Maison des Arts.

 Je m’arrête aussi sur la responsable de l’organisation matérielle et technique Monique Sentey, avec son équipe d’Objectif Congrès et de Dakota Voyages : elle m’a rassuré souvent par ces conseils, son expérience et son sourire.

 Je ne dois pas oublier non plus l’Agent comptable de Bordeaux3, Madame Esclasse, qui a donné un sérieux coup de pouce à un moment difficile.

 J’accorde aussi une attention toute particulière à mon ami, le maître de la toile, Jean-Pierre Descamps, confectionneur infatigable du site et, bien sûr, à mon autre ami Jean-Pierre Augustin, qui m’a accompagné dans cette construction au point, disait-il il y a quelques jours, qu’on pouvait nous appeler « Jean-Claude Augustin et Jean-Pierre Gillet ». Mes souvenirs de Tintin me rappellent, quant à moi, Dupond et Dupont.

 Arrêtons ici l’énumération ; que certains me pardonnent s’ils sont oubliés, mais j’ai l’impression de plonger, dans ce type de formule, à la Nuit des Césars (l’équivalent pour nos collègues étrangers des Awards américains où chacun va remercier jusqu’à sa cousine voire à son voisin).

 Si le terme « animation » m’est familier depuis le début des années 60 grâce à Georges Lapassade, un des penseurs et praticiens de l’analyse institutionnelle dans le champ de la psychosociologie, ma découverte des professionnels de l’animation date aussi de cette époque puisque en plus de mes mandats syndicaux et politiques nationaux (de 1963 à 1980), j’ai été membre du Conseil de Maison de la MJC (Maison des Jeunes et de la Cuture) - rue Louis Lumière à Paris, très connue à cette période pour l’opposition que lui manifestait la Mairie de Paris. Mais c’est surtout à la fin des années 70 que mon intérêt s’est cristallisé dans une observation systématisée, une rencontre de praticiens dans de multiples structures avec une intervention de type psychosociologique.

 En définitive, c’est à partir de ma thèse en Sciences de l’Education, en 1993, que tout ce corpus praxique a été interrogé, travaillé, reconstruit, bref, théorisé. Il est certain que le cadre du département Carrières Sociales de l’IUT a favorisé cette éclosion, IUT dont le fondateur, Robert Escarpit, m’était connu depuis le comité antifasciste en 1960, lequel se réunissait dans les sous-sols de l’AGEB (Association Générale des Etudiants de Bordeaux), cours Pasteur, puis Cours Alsace-Lorraine, dont j’étais Vice-Président. A cette époque agitée par l’OAS (Organisation de l'Armée Secrète), j’ai même gardé sa maison de la rue David-Johnston contre les attentats possibles des fascistes pro-Algérie française.

 Cet état d’esprit d’un IUT, engagé, laïque, présent dans l’actualité socio-historique, avec des acteurs par ailleurs distanciés, par une recherche théorique dont je rappelle l’étymologie : théorie = action d’observer. N’’y a-t-il rien de plus praxique dans cette alliance ? Je n’ai eu qu’à prolonger ce cheminement.

 Il est vrai que les uns auraient peut-être préféré moins de « démesure » dans l’ambition de ce projet de colloque, que d’autres me renvoyaient à mon illusion, que certains même pensaient que je ne tiendrais pas, seul, aussi loin pendant 5 mois lors de mon congé de recherche où j’ai approché les 60.000 kms. Oui, à certains moments, cela a été dur, mais quelle expérience, mes aïeux, et il est indéniable que sans elle, le colloque n’aurait pu se tenir. Ce voyage, ces contacts multipliés aboutissent aujourd’hui à plus de 80 communications, 5 panels, plus de 220 participants (dont plus de 70 étrangers couvrant l’Amérique Latine bien sûr - et dont j’ai rencontré la plupart, l’Europe, mais aussi l’Afrique, le Moyen-Orient), soit 25 pays représentés par des enseignants chercheurs, des doctorants, des praticiens animateurs, des responsables d’associations, d’administrations ou d’institutions gouvernementales.

 Et comme il se doit, nous avons eu nos « catastrophes », ou bouleversements, pour reprendre l’étymologie grecque. Certaines ont été résolues par les pompiers de service : n’est-ce pas, Monsieur Galindo Perez, qui nous vient enfin de Cuba, mais sachez que l’on pourrait faire un ouvrage à partir des courriers échangés entre l’Université de La Havane, l’Ambassade de France à Cuba et le Département Carrières Sociales ! N’est-ce pas aussi Monsieur Ngapandoentbu, qui, après maintes démarches, a pu arriver ici venant du Cameroun.

 Je classe dans ces moments heureux l’appui financier de la Direction de la Jeunesse, de l’Education Populaire et de la Vie Associative au Ministère de la Jeunesse, de l’Education Nationale et de la Recherche, du Ministère des Sports, de l’INJEP, de l’ONMAS, de l’AUF, du Conseil Régional, du Consulat Général de France au Québec et du Centre d’Etudes Canadiennes, et, plus particulièrement, de la Délégation Interministérielle à la Ville.

 Je profite de votre présence, Monsieur le Président, pour rappeler que le budget du colloque intègre bien sûr dans ses recettes la subvention qui devrait lui revenir par le contrat quadriennal. Avouez qu’il est paradoxal que nous n’en connaissions la hauteur qu’après la tenue du colloque. Je suis certain que vous serez attentif à ce qu’elle soit transférée dans les meilleurs délais, lorsqu’elle arrivera dans les murs de Bordeaux 3.

 

Mais j’ai plusieurs regrets aussi, et une indignation : 

-          bien d’autres acteurs d’Outre-Atlantique auraient été heureux d’être présents parmi nous, s’ils avaient pu trouver les ressources financières indispensables. Nous avons invité (outre le comité scientifique) 10 personnes dont les communications nous semblaient particulièrement dignes d’intérêt, recherchant en même temps une diversité thématique. C’est d’ailleurs la raison du coût pour chaque participant (du même ordre d’ailleurs que beaucoup de colloques de ce type), intégrant donc dans la démarche une fonction de solidarité nord - sud. 

-          le deuxième regret concerne le comité scientifique. Après réflexion, Jean-Pierre Augustin et moi-même avions constitué un comité, non pas paritaire du point de vue du genre, mais quasiment : 5 femmes, 7 hommes. Malheureusement, depuis, 3 collègues féminines se sont désistées.  L’une a pris une responsabilité en Equateur au sein du Ministère de l’Education et n’est plus suffisamment disponible. Il s’agit de Madame Teran Najas, qui est remplacée par Monsieur Alfredo Astorgas, professeur associé à l’Université Andine Simon Bolivar de Quito ; de Madame Rita Gonzalez Delgado, vice-rectrice de l’Université de La Havane (bloquée par la naissance d’une petite-fille), remplacée par Monsieur Carlos Galindo Perez, directeur d’une école universitaire de formation en animation ; et enfin de Madame Lucero Zamudio, doyenne de la Faculté des Sciences Sociales de l’Université Externado de Bogota, bloquée par la maladie soudaine d’un membre de sa famille, remplacée par Monsieur Hernando Salcedo-Fidalgo, chercheur au CIDS, laboratoire de cette même faculté ; ce sont donc ces mêmes femmes qui ont choisi 3 hommes ! Il est important que vous sachiez que l’organisation n’y est pour rien ! 

-          Enfin, nous avons pu constater que partout dans le monde mais à des degrés divers, en Afrique sub-saharienne en particulier, l’obtention d’un visa (qui n’était d’ailleurs plus en usage dans nombre d’autres continents pour venir en France) est devenu un parcours du combattant avec la politique actuelle du gouvernement français. Certains, bien qu’ayant obtenu tous les papiers nécessaires (billet d’avion, certificat d’hébergement, invitation officielle, bourse, achat d’un passeport, sans compter mes appels réitérés aux consulats de certains pays), se sont vus refuser le visa, notamment l’un d’entre eux qui devait faire une communication au colloque. Cette sélection par pays est insupportable et relève d’une paranoïa de mauvais aloi : mettre des barrières pour éviter entre autres la circulation des hommes et des savoirs est aussi vain que le mur d’Hadrien avant-hier, que le mur de Berlin hier, ou que celui qui s’apprête aujourd’hui à enfermer les Palestiniens. 

Je me permets de le dire, car ma conscience l’exige et ma position le permet : privilège de l’âge aussi de celui qui part à la retraite à la fin du mois.  

Donc nous allons tout faire tous ensemble pour que ce colloque soit un succès mais n’oublions cependant pas que la Roche Tarpéienne n’est pas loin du Capitole : gardons la tête froide. Bien de l’ouvrage nous attend encore. 

J’ai intitulé mon intervention concernant l’action des animateurs : « Penser l’agir local et agir le penser global ». 

Chacun aura reconnu ici une prolongation de la fameuse phrase de René Dubos, ce médecin et biologiste américain d’origine française, ayant reçu en 1972 le Prix international de l’Institut de la Vie. Il a élaboré une approche de la maladie de type systémique et interactionniste. Il nous invite à considérer qu’il ne peut y avoir compréhension du tout sans comprendre toutes les parties, ni des parties sans comprendre le tout. Pascal l’avait déjà signifié : « Je tiens pour impossible de connaître les parties si je ne connais pas le tout, comme de connaître le tout si je ne connais pas les parties ». 

Que signifie cette orientation ? Je propose de l’interpréter selon 3 modes, dans une perspective constructiviste qui, plutôt qu’une théorie qui serait un ensemble de propositions formalisées (sur le modèle du langage mathématique hypothético-déductif) revendique une heuristique qui relève de significations proposées où le critère de vérité est remplacé par le critère d’adéquation du modèle au réel. Je suis donc éloigné en ce sens d’une épistémologie positiviste et me refuse à séparer comportements et projets, moyens et fins, phénoménologie et téléologie, expériences et intentions humaines, valeurs et opérationnalité dans l’action. Je vous renvoie ici aux recherches de Jean-Louis Le Moigne sur la modélisation des systèmes complexes. 

Cette orientation signifie d’abord décloisonner, éviter les séductions du localisme qui, comme l’écrit le sociologue Jean-Etienne Charlier (professeur invité à l’Université Catholique de Louvain), n’est pas toujours un échelon pertinent pour dégager le plus facilement le bien commun. De plus, si les acteurs sociaux limitent leurs échanges par la constitution de réseaux au niveau local et territorial, ils risquent de laisser d’autres instances (nationales et internationales) décider le cadre à l’intérieur duquel ils auront à se développer. Le local ne peut avoir une autonomie relative qu’à l’intérieur d’un ensemble plus vaste, plus général, et pour dépasser les seuls niveaux à court ou à moyen terme, ce que J.E. Charlier appelle « l’insularisation », même s’il est souhaitable de construire une identité locale forte (1988). 

Bien que dissymétriques et fort loin de l’horizontalité parfois, les tendances opposées de construction de la société par le haut et par le bas n’en sont pas moins constituées de rapports d’interdépendance. Ces derniers font émerger un besoin d’autonomie de la part des individus et des groupes, et il y a toujours chez les acteurs sociaux un besoin de relation plus décentralisée, plus horizontale, à interpréter davantage comme un besoin d’identité, d’expression, de création, de responsabilité, que comme une recherche réduite au seul individualisme, narcissisme et égocentrisme. Le local, le microsocial doit être envisagé de façon identique : il a une spécificité propre et la logique sociétale centrale peut lui être extérieure. Mais cela ne signifie pas qu’il doive se désintéresser du centre. 

Pour les animateurs, le local permet la représentation de possibles (les « révolutions minuscules » titrait la Revue Autrement au début des années 80), puis leur réalisation, mais il leur faut agir dans une vision conjuguée, articulée, dialectique entre centre et périphérie, car des questions essentielles telles que la crise de l’emploi, de l’éducation ou le changement de mentalités et de cultures ne peuvent être abordées et résorbées seulement au niveau local. 

L’animateur peut aider à la construction de zones de compromis entre « réseaux et hiérarchies » à l’image du « désordre de la vie sur le terrain », comme l’écrit Claude Neuschwander (1991). Créer du « liant social », restaurer des « médiactions », comme je l’ai écrit par ailleurs, des interfaces entre individus et Etats, éviter la marginalisation de la société active et des solidarités vicinales, affinitaires, tribales, claniques ou communautaristes, bref, articuler micro et macro social, tel est le sens que l’animation offre, ce que François Dubet évoque dans cette phrase : « Faire de la musique ensemble, tout en restant nous-mêmes ». Ce que j’appelle pour ma part l’instauration de transversalités communiquantes. 

Pour éviter la suprématie des passions sur la raison, l’animation doit permettre ce passage de la rue au quartier, du quartier au village ou à la ville, de la ville à l’Etat et de l’Etat au monde. Il ne suffit donc pas, par les initiatives de gouvernance locale, de recréer du lien social horizontal : c’est le lien politique, producteur de lien social vertical, par les contrepouvoirs ainsi suscités par le jeu des acteurs, qui est interrogé. C’est la question de la démocratie avec ses modes d’entrelacement « d’espaces publics autonomes et, de l’autre, les sphères d’action à travers l’argent et le pouvoir administratif », qui devient centrale, écrit Jurgen Habermas (1990). 

Voilà une des raisons qui explique la tenue de ce premier colloque international dans un contexte de globalisation et d’altermondialisation à une semaine du Forum Social Européen de Saint-Denis. 

Et ce contexte là n’est pas neutre : le dernier rapport du programme des Nations Unies pour le développement, qui est paru le semestre dernier, nous rappelle que « plus d’un milliard de personnes vivent encore dans l’extrême pauvreté, et nombre d’entre elles voient leur niveau de vie régresser constamment… Les 1% les plus riches obtiennent autant que les 57% les plus pauvres » et « les 25 millions d’américains les plus aisés disposent d’un revenu équivalent globalement à celui des quelques 2 milliards d’habitants les plus pauvres de la planète ». 

Dans cette assemblée, nombre de latino-américains peuvent nous parler des habitants des favellas, des tugurios, des ranchos, des vilas miserias, des ciudades perdidas, des cantagriles (nom du bidonville selon les pays). J’ai pu identifier des odeurs, des couleurs, des visages dans cette Colombie, par exemple, aux 200.000 morts depuis 40 ans (mais seulement 20% semblent dues à la guerre civile), dans ce Pérou où 54% vivent en dessous du seuil de pauvreté, 60% en Equateur, dans ce Brésil où 1/3 de la population vit avec moins de 1$ par jour, dans cette Argentine où plus d’1/3 de la population est sans travail ou sous-employée, et où 20 millions d’Argentins sont pauvres sur 37 millions d’habitants, avec une augmentation de 40% en 1 an, dans ce Mexique où, avec ses 54 millions de pauvres environ sur 96 millions d’habitants, dans ce Guatemala où 20% de la population contrôle 80% des richesses, dans ce Caracas, au Venezuela, où l’économie souterraine représente 60% de l’activité économique de la ville. Et comment ne pas parler de la vente de 400 voitures blindées par mois au Brésil, 170 au Mexique, 150 en Colombie, où aussi dorénavant les détenteurs de capitaux, les propriétaires terriens et les industriels, les hauts fonctionnaires, les politiques commencent à se déplacer en hélicoptère sur les terrasses des immeubles urbains pour éviter les risques de l’embouteillage et de l’attaque à n’importe quel feu rouge.  Et certains viendront nous expliquer, tranquillement, qu’il n’y a pas de lien direct entre richesse et pauvreté, entre inégalités sociales et délinquance. Les quelques africains présents dans la salle pourraient eux aussi ajouter nombre d’éléments à ce panorama. En résumé, comme l’expliquait Bernard Charlot, professeur en Sciences de l’Education au Forum Mondial sur l’Education, nombre de pays sont placés face à ce dilemme : « Payer la dette extérieure ou donner une éducation à tous ». 

Je me souviens aussi du cri des paroles d’un tango entendu dans la région du Rio de la Plata : « Nous vivons dans un tourbillon écumeux et, dans la même boue, tous manipulés ». 

*          * 

Pour les animateurs, une deuxième interprétation de la phrase de René Dubos est possible : après celle qui consiste à refuser un localisme sans globalisation, elle nous invite à résister à une spécialisation forcenée qui accompagne la mondialisation évoquée. 

Cette hyperspécialisation, nous la retrouvons aussi par exemple dans la politique du Ministère des Sports, et elle nous vient de loin. J’ai ici un document « Formations-schéma directeur » qui date du temps ou Roger Banbuck était Secrétaire d’Etat à la Jeunesse et aux Sports dans le gouvernement Rocard (1988-1991). On y découvre déjà les 5 niveaux auxquels aspirait ce Ministère dans ses formations : assistant technicien, technicien, technicien supérieur, cadre, cadre supérieur. On y annonce l’objectif d’ « harmoniser les formations à l’animation et de les rendre cohérentes », c’est-à-dire qu’une adhésion harmonieuse devrait les lier les unes aux autres. 

Chacun est juge. Mais toutes les formations sont plutôt - permettez-moi ce mauvais jeu de mot- « co-errantes ». Le DEFA est encombrant et objet de discordes entre deux ministères, le BEATEP et le Brevet professionnel se chevauchent sans politique claire, point de passage possible entre le DEFA et le BEATEP, des spécialisations dans le Brevet professionnel fleurissent selon les pressions de lobbies sociaux ou sportifs, le BAFA est toujours dans le brouillard, le BAPAAT rejeté par nombre d’employeurs, le DEFA et le DUT sont écartés de la filière animation « collectivités territoriales », etc. Parallèlement, le DUT Animation du Ministère de l’Education Nationale relève parfois d’une ignorance encyclopédique tant il couvre superficiellement de nombreux domaines à la fois professionnels et de culture générale. Ajoutons que le temps de stage y est insuffisant pour une mise en tension profitable de la théorie et de la pratique chez les animateurs en formation. Et la licence professionnelle en 6 semestres, que nous appelons de nos vœux, Monsieur le Président, mérite votre soutien pour combler une partie de ces défaillances : nous en avons, pensons-nous, la compétence, avec la coopération de l’Université à laquelle nous revendiquons notre appartenance. 

Il ne faut pas cacher non plus que nombre de fédérations d’Education Populaire sont empêtrées dans le marché de la formation : « à trop s’approcher du brasier, [elles] se sont grillées les moustaches », comme l’expliquait si bien Jean-Marie Grousset, formateur de l’UFCV (Union Française des Centres de Vacances et de Loisirs), il y a une quinzaine d’années. Et il y a là sûrement une des explications de cette relative impuissance imaginative qui fait hésiter les plus jeunes à s’y engager : mais en outre, combien de têtes chenues ou chauves ne retrouve-t-on pas dans leurs assemblées générales ? 

Marchandisation et spécialisation technocratique n’empêchent cependant pas nombre de candidats à se présenter à la porte des formations à l’animation. De plus, contrairement à une idée reçue, des travaux récents de l’INJEP (Institut Nationl de la Jeunesse et de l'Education Populaire) ont démontré que la présence des professionnels de l’animation, bien loin d’étouffer la vie associative, leur apportait une dynamique et une efficacité indéniables avec une formation de haut niveau. C’est ici que l’opinion selon laquelle ces professionnels seraient un obstacle à la vie associative et à toute transformation sociale (base de leur création historique), oublie que ce sont des militants qui, à la fin des années 50, ont exigé une professionnalisation, revendiquant formation, acquisition de méthodologie, convention collective, bref, une reconnaissance sociétale. Et ce mouvement de rationalisation issu de la modernité, analysé par Max Weber notamment, a concerné les infirmières, les assistantes sociales, les éducateurs spécialisés et bien d’autres encore. 

Il n’est pire conseiller en la matière que la nostalgie des temps des années soixante et soixante-dix. Vouloir revenir au modèle du seul militant libérateur et rédempteur qui rachète les esclaves pour les rendre libres est une illusion régressive. L’animation s’apparente encore à une utopie porteuse d’avenir en ce début du 3° millénaire : l’espérance d’une vie allongée, en bonne santé, les nouvelles techniques qui soulagent les pesanteurs du travail productif et industriel, le temps libre renforcé accompagnent un mouvement de société. Ces projets d’animation peuvent saisir ces opportunités. Comme l’exprime le sociologue Pierre Ansart, toutes les sociétés passées et actuelles sont traversées « de créations imaginaires depuis les formes les plus visibles jusqu’aux plus voilées » et c’est ici que le socioculturel, défini comme une modalité où la littérature et les arts « tentent incessamment de produire de nouvelles formes, de nouveaux contenus », modifient « les manières de voir » et « d’imaginer le monde », dans une production de significations « par delà les faits, par delà le réel » dans un mouvement « de rêve, de projection et éventuellement dans leur délire » (Pierre Ansart, 1990). 

Il faut en même temps reconnaître que l’animation reste marginale dans ses effets, tant que les défis concernant la société ne seront pas traités à la hauteur des enjeux actuels : une démocratie à redéfinir, des inégalités à réduire, une économie à soustraire du carcan d’un ultralibéralisme économique et financier. L’animation participe d’une dénonciation de la légitimité d’un monde qui a parfois la tête à l’envers et elle offre un espace d’imagination réaliste. L’animateur est un homme d’action, un stratège, un homme de la praxis, sans illusion sur le monde, donc lucide mais persévérant dans l’espérance.  

A l’inverse, du côté des employeurs, des associations, des fédérations d’Education populaire, des collectivités territoriales, il reste encore à analyser la nature des rapports avec leurs salariés, les processus d’influence dans l’évolution des prises de décision. Mais surtout, un champ entier reste à explorer qui est : comment réinvestir la cité et ses quartiers populaires pour éviter les dérives des extrêmes (droites ou communautaristes) ? C’est un autre chantier à ouvrir, et il n’est pas mince. 

S’il est vrai que 50% des professionnels de l’animation ont un contrat précaire, aidé, saisonnier ou temporaire, il n’en est pas moins établi par le dernier recensement de l’INSEE (Institut National des Statistiques et des Etudes économiques) que parmi les professions les plus dynamiques, entre les recensements de 1990 et 1999, celle d’animateur est au 13ème rang, avec une évolution positive de plus de 93% (soit 100.750 professionnels, mais sur la seule base des animateurs socioculturels et des loisirs, liée à la définition donnée par l’INSEE en 1978, c’est-à-dire il y a 25 ans !). 

Il faut certes relativiser cette tendance, résultat d’un travail appuyé sur du déclaratif, mais le champ de l’animation s’est depuis largement étendu au social et au médico-social, au patrimoine, au tourisme, à l’écologie, à l’insertion, au sport, à l’international, à l’humanitaire, etc. Et un rapport du CNFPT (Centre national de la fonction publique territoriale), qui va être publié d’ici la fin de l’année, va démontrer aussi cette croissance et cette vitalité dans l’emploi des animateurs. 

Quel est donc l’enjeu principal concernant la formation des animateurs, ici et ailleurs dans ses analogies ? Celui d’avoir des animateurs généralistes (ayant certes quelques spécialités techniques) dont une des légitimités principales reste les besoins, les demandes, les problèmes, les exigences, les difficultés vécus par des populations dans le monde entier, dans cette vaste crise de la participation dont tous les politiques vantent les mérites, mais dont la vertu est peu pratiquée parce que crainte. La crise de la démocratie représentative est de plus en plus évidente, et pas seulement en Europe ou aux Etats-Unis, mais aussi en Amérique Latine. Un sondage de « corporacion latin barometro » (l’équivalent de la SOFRES) a été publié en août 2001 : les latino-américains appuieraient la démocratie à 48% contre 60% l’année avant, et les résultats de cette démocratie ne satisfont que 27% des personnes interrogées (contre 53% de satisfaction en Europe). La crise internationale a donc un impact fort sur l’évaluation du système démocratique, ainsi que la répartition inégalitaire des richesses. En Equateur par exemple, au mois d’août 12003, 6 mois après son investiture, le taux d’impopularité du Président Gutierrez est monté à près de 70% (rappelons qu’en France, plus d’un an après les élections, notre Premier Ministre recueille seulement 30% de satisfaits : les fourchettes sont identiques). 

J’ai écrit un jour que l’animation était utile à la démocratie, mais que la démocratie est nécessaire à l’animation. Là s’inscrit un autre enjeu principal dans la complexité des sociétés, l’intrication des facteurs, l’interaction démultipliée, bref, ce qui fait lien, ce qui fait société et l’animation relève à cet égard d’un désordre, de l’appel à un nouvel ordre lié à un imaginaire social que beaucoup de marchands du temple voudraient réduire à une simple prestation de services vide de sens.  

Or l’histoire est là, celle de la « merdonité » comme l’écrit Michel Leiris. Pas un jour en Amérique Latine où je n’ai vu une manifestation contre les privatisations, la flexibilité de l’emploi, la misère, le chômage, la baisse des retraites, l’affaiblissement des services de santé, les augmentations de prix et la dénonciation de la violence qui en résulte : indiens mapuches, postiers, consommateurs d’eau potable privée au Chili ; cazerolasos, piqueteiros, petits porteurs d’actions ruinés en Argentine ; paysans, enseignants et retraités manifestant au Mexique ; étudiants et enseignants en grève en Uruguay ; paysans et enseignants en lutte en Equateur ; sans terre manifestant au Brésil ; enseignants du supérieur en grève pendant 6 mois dans ce même pays, sans parler du grand désordre vénézuélien et des pétitions pour une réelle démocratie socialiste à Cuba, etc. 

C’est donc là que l’effort doit porter de la part des animateurs, sur cette exigence de démocratie, sur cette nécessité de former des décathloniens de l’animation, car le niveau culturel des populations s’est accru. Ce ne sont pas les seuls techniciens-spécialistes qui pourront répondre à cet enjeu principal (je me rappelle à ce sujet ce fameux slogan de la CFDT (Confédération Française Démocratique du Travail, syndicat de salariés) : « La hiérarchie c’est comme les étagères, plus c’est haut, et moins ça sert »). Une telle orientation vers la spécialisation peut faire le lit du secteur privé lucratif tant dans le culturel, l’éducatif ou le social, si on limite l’animation à la seule prestation de services. Vous savez tous comme moi que le MEDEF (syndicat patronal) soutient cette thèse, que des municipalités confient le marché des CLSH (Centre de Loisirs Sans Hébergement) à des sociétés lucratives ; que de grands groupes capitalistiques se lancent dans l’animation sportive ou de loisirs, sans aucune intention éducative ni pédagogique. Je pense ici à ce Salon professionnel de l’animation et des loisirs organisé chaque année à Paris avec, comme exemple de conférence : « La place des métiers de l’animation dans l’économie de marché », voilà qui a le mérite d’être clair, d’autant plus que ce colloque est organisé par une structure qui s’appelle : Banque-Animation ! C’est en ce sens qu’au cours d’un colloque, il y a quelques années, le psychosociologue Eugène Enriquez disait : « Le marché étouffe la démocratie ». 

Enfin, en France, le prestige en médecine va au spécialiste qui prolonge une formation générale. Dans certains pays nordiques, à l’inverse, les médecins finissent par devenir généralistes, tant l’on considère qu’il y a alors une progression nécessaire liée à la complexité des diagnostics. Tirons ensemble les animateurs vers le haut et non vers le bas. Les sociétés recherchent plus de qualification, plus de savoirs, plus de compétences, même si l’on sait que chacun d’entre nous, à un certain âge, accepte plus facilement peut-être l’existence de vides dans sa propre connaissance, mesurant ainsi nos propres limites scientifiques et épistémologiques. 

*          * 

Le troisième et dernier aspect que m’inspire cette phrase de René Dubos est résumé par le titre de ma communication : il me semble que l’expression « agir localement, penser globalement », par la césure proposée, relève plus d’une juxtaposition entre le local et le global, entre la pensée et l’action. Déjà, Henri Bergson avait aussi écrit une pensée similaire : « Agir en homme de pensée, penser en homme d’action ». 

Pour signifier un autre modèle d’action, plus proche me semble-t-il de la réalité et de l’exercice de la fonction des animateurs, il me paraît possible de dialectiser les items de la pensée de R. Dubos et d’H. Bergson sous la forme de la nouvelle expression : « Penser l’agir local et agir le penser global ». Lier donc dans un même mouvement local et global, croiser avec celui de l’agir et du penser. Nous sommes ici dans une orientation praxéologique qui questionne la pratique des animateurs à partir de 4 pôles : 

Ø  un raisonnement sur une situation à décrire, à comprendre, en anticipant son évolution en fonction des actions qu‘ils projettent d’exercer sur elles et des compromis et transactions qu’elles impliquent ;

Ø  des objectifs, c’est-à-dire ce qu’ils cherchent à obtenir, à modifier, à créer, à changer en intégrant les ressources et les contraintes ;

Ø  des décisions, c’est-à-dire opérer des choix en fonction du niveau et de la hiérarchie des enjeux ;

Ø  une éthique, c’est-à-dire des valeurs philosophiques, morales ou politiques.  

C’est ce que j’ai dénommé « l’intelligence stratégique » des animateurs, leur ruse, leur mètis, associant la mobilité de l’intelligence et la rapidité de l’action, et le kairos, l’opportunité à saisir le bon moment (je vous renvoie aux travaux de Jean-Pierre Vernant et de Georges Vignaux, directeurs de recherche au CNRS, Centre National de la Recherche Scientifique). On y retrouve les aspects phénoménologiques, téléologiques, axiologiques et opérationnels évoqués ci-dessus. Reprenant l’analogie proposée par Francis Bacon, le praxéologue n’est en résumé ni un simple empiriste, qui tel la fourmi, recueille les fruits de sa quête de nourriture pour en faire un simple usage, ni un simple logicien, qui, tel l’araignée, fabrique sa toile à partir de sa propre substance, mais plutôt une abeille qui se situe dans une voie intermédiaire et fabrique son futur miel à partir des fleurs, les transforme et le digère par sa propre énergie.  

Jurgen Habermas réinterroge aussi le lien entre théorie et pratique, chercheur et praticien : le but n’est pas, dit-il, le simple développement de théories critiques, mais la recherche de théorèmes vérifiés et de stratégies appropriées, donc des affirmations vraies, vérifiables et aussi des décisions judicieuses. Traiter les faits sociaux comme des choses, c’est absolutiser « le donné social » et c’est de fait attribuer une fonction conservatrice aux sciences sociales (Habermas, 1979). La théorie critique accentue la dimension du désenchantement, voire de résignation, car elle sous-évalue la force et la vitalité des facteurs subjectifs, orientant plutôt le sujet vers l’apathie et la démobilisation. Max Horkheimer, sociologue de la fameuse école de Francfort, propose la réflexion suivante : « Lorsqu’une science, dans une indépendance imaginaire, regarde la pratique qu’elle sert et à qui elle appartient comme complètement différente d’elle-même, et lorsqu’elle se satisfait de la séparation de la pensée et de l’action, cette science-là a déjà abandonné l’humanité (…). La qualité de l’activité de pensée (…) renvoie au changement historique et à la production de situations justes entre les hommes. » (1970). La théorie doit en conséquence s’intéresser à l’amélioration des situations sociales et à sa capacité à influencer les pratiques : plus encore, « la pratique sociale a le devoir de décider de la valeur des théories, dans la mesure où les théories doivent montrer leur validité dans les pratiques sociales ». 

Voilà ce qui inspire notre sens de la formation à la professionnalisation des animateurs. 

Pour conclure, je ne peux m’empêcher de me souvenir de cette phrase de Jean-Paul Sartre, un de mes maîtres dès l’âge de 16 ans au Lycée Montaigne (à travers ses romans et nouvelles, son théâtre, ses « situations ») et que j’ai redécouvert grâce à la thèse, philosophiquement, dans la Critique de la raison dialectique. Il est resté un des fils rouges de ma propre trajectoire, une sorte de fil d’Ariane dans le labyrinthe que constituent les rapports des hommes entre eux : « Se faire exister contre ce qui nous fait être pour ne pas être refait ». C’est une manière de nous dire que l’important, ce ne sont pas seulement les déterminants qui pèsent sur nous, mais ce que nous faisons de ce qu’ils produisent en nous. Et cela n’est pas toujours aisé, car il ajoute : « Exister, c’est ça : se boire sans soif ». Comment ne pas rapprocher cette orientation de celle d’Eduardo Galeano, écrivain uruguayen : « No somos lo que somos, sino lo que hacemos para cambiar lo que somos » ? 

Comme synthèse de ma conclusion, je vous propose cette phrase d’Antonio Gramsci : « Le pessimisme de la réalité est le préalable à l’optimisme de la volonté ». La volonté, nous en avons à profusion.

Bibliographie : 

ANSART P.
« L’imaginaire social ». Encyclopedia Universalis, 1990. 

CHARLIER J.E.
« Le partenariat : une évolution réaliste du travail social ». La coordination et la mission locale ; les séductions du localisme et les mépris mutuels de la société civile et de l’Etat, p. 66-78. Revue Action Sociale, n° 5, sept./oct. 1988. 

GILLET J.C.
« Animation et animateurs. Le sens de l’action ». L’Harmattan 1995.

 HABERMAS J.
« La technique et la science comme idéologie ». Gallimard, Payot, 1973. 

LE MOIGNE J.L.
« Les épistémologies constructivistes. Un nouveau commencement ». Sciences de la société, n° 42, oct. 1997, p. 161 à 181. 

NEUSCHWANDER Cl.
« L’acteur et le changement. Essai sur les réseaux ». Seuil, 1991. 

Rapport mondial sur le développement humain 2003, Editions Economica. 

SARTRE J.P.
« La critique de la raison dialectique ». Tome I. Gallimard, 1994. 

WULF Ch.
« Introduction aux sciences de l’éducation ». Armand-Colin, 1995.

 

L’ANIMATION EN FRANCE ET SES ANALOGIES À L'ÉTRANGER Théories et pratiques - état de la recherche
1er COLLOQUE INTERNATIONAL EUROPE / AMERIQUE - 4 / 5 / 6 Novembre 2003 - BORDEAUX (FRANCE)
organisé par le DEPARTEMENT CARRIERES SOCIALES (option Animation Sociale et Socioculturelle) de l'IUT MICHEL DE MONTAIGNE - UNIVERSITE DE BORDEAUX 3

Contact colloque et réseau international : colloquecs-isiat@fr.st / site officiel : www.colloquecs-isiat.fr.st

 webmaster : (c) 2002/2011 jeanpierre.descamps@amitel-communication.fr