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Education populaire,
temps libre, recréation et animation
COMPTE RENDU DE JEAN-MARIE
MIGNON ,
CONSEILLER DE JEUNESSE ET D’EDUCATION POPULAIRE,DRDJS ILE DE FRANCE
Quel est
l’objet commun qui nous a réuni pendant cette journée ? Il est difficile
de trouver un fil commun, qui, comme celui d’Ariane, nous aurait mené, à
travers le dédale des mots, des préoccupations et des méthodes d’analyse
et d’action, au but recherché. Tous, nous aurions pu alors les élucider,
et nous serions ensuite repartis, sans nous perdre, chacun dans son
pays, la tâche exécutée. Nous avions tous, sans doute, le même but, mais
le dédale emprunté avait plusieurs parcours. Certains prenaient
celui-ci, d’autres celui-là. C’est d’ailleurs, beaucoup mieux ainsi, la
richesse de la diversité, portée par chacun, en aurait souffert.
Il faut
aussi, et surtout, remercier les orateurs qui ont été terriblement
bousculés par la rencontre d’un temps absolument inélastique et de leur
communication, potentiellement très compressible. Merci aussi à la
traductrice, Ilia Castro, désignée volontaire, qui nous a permis de
suivre ces orateurs grâce à ses traductions parfois périlleuses, au
milieu de l’espagnol, du portugais et du français, ces trois langues
parlées en Europe comme en Amérique.
D’où
venaient-ils ? Du Brésil, d’Espagne (Catalogne, Castille), de France,
d’Argentine, du Québec (Canada), des Pays-Bas, de Belgique, de Colombie,
du Cameroun, de Suisse et d’Uruguay. Merci à vous tous et comprenez que
je ne ferais que reprendre, de vos interventions, qu’une petite partie
de ce que j’ai cru en comprendre.
Avec, en
surplus, une prise de position. Car je crois que, dans un travail sur
les analogies, malgré ses limites et le risque de tout mélanger dans ce
jeu de miroirs biaisés, on sait bien qu’il y a quelque chose de l’ordre
de l’absolument nécessaire à connaître l’autre, car l’autre me renvoie à
ce que je suis, m’explique ce que je suis. L’analogie, pour moi, est
« ce qui renvoie une ressemblance ». Pas moins, mais pas plus.
Pour ce
faisceau de termes liés ensemble dans le titre de l’atelier, « Education
populaire, temps libre, recréation et animation », il a donc fallu
travailler sur les mots pour comprendre ce que disait l’autre, tous les
autres.
Le temps
libre, d’abord. Ce temps délié des contraintes professionnelles,
familiales ou sociales. Un temps, donc, où l’on fait ce que l’on veut.
On consomme, même mal, même trop, ou insuffisamment. On est, de toute
façon, dans une situation qui fuit, qui se retire de ce que les autres
veulent imposer.
Le temps libre
et la liberté sont-ils la même chose ? La liberté est relativisée par la
conception que l’on en a. C’est le temps qui peut renvoyer à un moment
d’oisiveté, de vie hédoniste, l’« entertainement », « le passe temps ».
Temps inconnu de ceux qui n’ont pas les moyens de le dégager des
incontournables emprises quotidiennes. Ce peut être aussi un temps
perdu, un temps de la frustration, un temps impossible à user avec
profit. Le temps désoccupé n’est pas forcément du temps libre.
On ne peut pas
l’analyser en soi. Vouloir réfléchir sur la valeur temps libre impose de
travailler aussi sur la valeur travail. Selon certains commentateurs, la
France, qui avait érigé le temps libre en administration d’Etat, dans
les années quatre-vingt, aurait péché par manque de lucidité sur ce
point.
Ce temps libre,
celui-là justement, est un moment que veulent saisir les animateurs et
le réutiliser dans un projet de construction de la personne, du groupe,
de la communauté (le mot « communauté » chez les Américains du Sud et du
Nord ne serait pas vécu, dans son aspect socio-politique, de la même
façon qu’en France : Y. Hurtubise, Québec). Elle doit être incluse dans
des objectifs (P.A. Waichman, Argentine). C’est un temps qui devrait
être, donc, celui de la moralisation de la personne, d’éducation, quand
les autres méthodes, plus classiques, n’existent pas ou ont échoué.
C’est le temps de la conscientisation qui fait que l’on découvre que
l’on est dans la vie politique et que les règles de la démocratie sont à
dégager de l’écrasement subi par des rapports de force, des rapports de
classe inégaux. Le temps libre est aussi l’apprentissage de la liberté,
qui permet de vivre sa propre expérience (P.A. Waichman, Argentine).
Mais n’y a-t-il
pas un risque, dans cette volonté de moralisation, une attitude qui
s’inscrirait à côté d’autres institutions, celles qui sont chargées
d’encadrer les personnes et les groupes et pour qui cette liberté du
temps doit être, au mieux, contrôlée ? Cette question n’est sans doute
pas uniquement une question franco-française.
La
recréation. En France, en Suisse, on ne mettrait pas ces deux mots
de « recréation » et d’« animation » côte à côte sans quelques
réticences. En Suisse, par exemple, la récréation serait toujours de
l’ordre du loisir. Au Brésil, par contre, c’est une méthode, une action
qui permet de dépasser l’ordre social établi en vue d’en installer un
autre. Ce mot de recréation est riche de sens et j’ai vu le Québec et
l’Amérique latine (F. Vilas, Uruguay) se comprendre mutuellement. Alors
je n’écris qu’avec un seul accent aigu le mot de recréation, et non
deux, pour mieux le différencier dans ce qu’il montre comme capacité de
renouvellement et d’invention sociales.
La recréation
comme pédagogie. La recréation comme développement de la liberté (G.R.
Coppola, Argentine). La recréation comme modèle d’intervention sociale,
apte à gérer des situations complexes, par des techniques, par des
actions, permettant un accès plus ouvert, diversifié, au patrimoine
culturel commun. La recréation est même considérée comme un nécessaire
outil qui prend sa place dans la lutte contre la grande dégradation
sociale de certains pays. Il est clair que le dictionnaire analogique
devra faire des efforts pour m’aider à comprendre tous les sens de ce
mot !
L’animation.
Avec ce mot là, aussi, quand j’entends parler les Sud-Américains,
j’entends parler d’une intrication plus forte, que celle qu’on entend en
France, du projet socioculturel dans les enjeux politiques. Et la
critique, que l’on peut porter sur le rapport que l’animation entretient
avec le politique, ne peut faire oublier que, de toute façon, ce rapport
existe, qu’il soit affirmé ou nié. Le discours de l’animation peut se
couler dans un discours commun – on va dire bourgeois – ou bien
affronter une réalité socio-politique que l’on pense favoriser les
classes les plus riches.
Car l’animation
a son public. C’est celui des faibles : faibles parce qu’ils ne sont pas
encore des adultes ou parce qu’ils sont démunis de biens, réduits à des
expédients pour vivre. Il y a un risque, peut-être, à donner une vision
doloriste de personnes, de groupes, dont la vie est, malgré tout,
toujours plus diverse que l’on ne l’imagine. Il n’empêche. La violence
sociale non maîtrisée est présente. Et cette violence là naît toujours
de rapports de forces politiques par trop inégaux.
L’éducation
populaire. C’est un terme qui nous change sans ambiguïté des autres
termes dont je viens de parler : temps libre, récréation, animation. On
rentre là dans un projet éducatif qui dit sa spécificité dans son
adjectif.
Cette éducation
populaire s’inscrit dans un processus d’émancipation. Un mot très riche,
très fort, qui a beaucoup de portée en Amérique du Sud et, par vagues
concentriques, dans bien des parties du monde. On pense, bien sûr,
d’abord, à l’œuvre de Paulo Freire (Brésil).
L’émancipation,
qui renvoie à l’autonomie, même si par un effet pervers, ce mot,
magnifié par Yvan Illich, qui est synonyme de libération (J.O. Lozano
Escobar, Colombie), peut être retourné et compris comme l’assimilation à
un système politique néo-libéral (J.W. Duyvendack, Pays-Bas).
Emancipation et, en même temps, insertion sociale (E. de Drummond Alves,
Brésil). Exotisme des mots, difficulté à connaître toute leur richesse,
leur portée symbolique, dans chacun des pays ici présents.
Cette éducation
populaire (en France, dans le gouvernement actuel, on parle de l’« autre
éducation »…), permanente (J.V. Merino Fernandez, Espagne) est décrite,
par certains des orateurs, comme étant un double mouvement d’intégration
sociale et de libération politique. Ces termes, qui ne sont absolument
pas antinomiques, sont forts pour notre vieille Europe qui cependant en
saisit immédiatement le sens.
Si l’on écoute
plus précisément chacun des orateurs, on entend bien que cette éducation
populaire a été profondément façonnée par les histoires nationales,
régionales ; que les résonances culturelles, idéologiques, voire
politiques, n’en donnent pas partout le même son ; que les grands
traumatismes nationaux (immigrations, révolutions, émeutes, coups
d’Etat, ingérences étrangères,…) sont présents dans l’histoire de
l’éducation populaire.
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