ANIMATION,DEVELOPPEMENT ,
TERRITOIRES ET GOUVERNANCE LOCALE
COMPTE RENDU DE LUC GREFFIER,
MAITRE DE CONFERENCES ASSOCIE A L’IUT MICHEL DE MONTAIGNE (UNIVERSITE DE
BORDEAUX 3)
Jean Claude Gillet, dans
l’introduction au document de présentation des résumés de communications
a ouvert les portes de l’univers onirique au travers d’un poème Kasakh,
exprimant que « seul le diable ne rêvait pas ». Belle injonction au rêve
au risque d’être diabolisé.
L’atelier C, « animation,
développement, territoires et gouvernance locale » et sa cinquantaine de
participants ont saisi cette porte ouverte pour s’engouffrer dans le
monde des rêves. C’est ainsi que l’on a rêvé de Tunisie, d’Algérie, du
Brésil, du Mexique, du Québec, d’Espagne et aussi de France.
On a rêvé tel ce petit colibri
récoltant dans son bec un goutte d’eau afin d’éteindre l’incendie qui
ravageait sa forêt, on a rêvé avec autant de conviction que le petit
oiseau mais avec aussi autant de lucidité, lui qui disait être conscient
de ne pouvoir à lui seul éteindre le feu, mais affirmait être motivé par
le désir d’apporter non pas sa pierre mais sa goutte à l’ouvrage.
C’est vous dire si le rêve était
bien là : il nous a même été proposé des méthodologies d’intervention à
partir de « mapas de los suenos », de « cartes de rêves ». Ces cartes
des rêves venaient conclure un travail d’appropriation du territoire.
Ce territoire a été présenté comme
le lieu de l’identité : la méthodologie proposée évoquait ainsi la
formalisation de cartes de l’espace fonctionnel, de cartes de l’espace
émotionnel et de cartes de l’espace rêvé.
Le territoire, et plus
particulièrement celui du local, du micro-local, a été évoqué en Algérie
comme un espace de participation à dimension humaine, permettant d’une
part la rupture nécessaire avec les procédures traditionnelles
descendantes, mais nécessitant en contre partie la présence de lieux de
médiation entre ce local et les institutions de l’Etat, ce qui pose la
question des « centres de décision » que l’on pourrait résumer dans la
formule : « En quel lieu ? Qui décide Quoi ? ».
La question de l’émergence de
l’animation a été plusieurs fois évoquée, mais au-delà de cette
question, ce sont surtout les processus d’institutionnalisation qui ont
été débattus. Les rapports entre l’Etat et le tissu associatif, entre
collusion et collision, ont été analysés à partir d’exemples Tunisiens :
l’Etat considérant d’une part les associations comme des instruments de
sa politique ou d’autre part refusant toute forme de structuration du
tissu associatif, les associations étant soit instrumentalisées, soit
guerroyées. Les relations entre les collectivités publiques et les
communautés, la tension entre instituant et institué, ont fait définir
l’animateur comme un « conspirateur de la modernité ».
Nous évoquions ici même il y a deux
jours, le rapport entre démocratie et animation. Ce rapport a été
réactivé par le nécessaire engagement de la société civile dans la
défense de la sécurité sociale au Brésil, par la création de « conseils
de santé » et par l’articulation des relations entre ces conseils, la
société civile et l’Etat. Constat est fait qu’il s’agit ici comme
ailleurs d’un véritable combat, d’une lutte à mener pour la création
d’un autre ordre sociétaire, sans domination économique, sociale et
politique.
L’école, dans cette perspective, a
été évoquée comme un espace social d’animation à partir de la mise œuvre
au Brésil de projets d’éducation populaire dans des centres intégrés
d’école publique. La culture étant alors considérée en tant que levier
permettant la structuration de la société parce qu’elle peut, par des
processus de valorisation, permettre la prise de conscience par les
acteurs de leur propre importance. Ailleurs ou ici peut-être on aurait
pu dire « Changer l’école pour changer la vie », le slogan fera écho à
certains d’entre-vous.
Comment mettre en œuvre la
démocratie participative ? La méthodologie de l’animation là encore a
été évoquée : il est apparu que le travail d’animation participative
gagnait en efficacité à se faire dans la convivialité, dans une approche
ludique, autour du manger et du boire par exemple, en guise
d’introduction à des temps de réflexion et d’échange. Même dans les
situations les plus délicates, l’optimisme de la conviction a été
affirmé par les travaux conduits avec des populations mises en
difficultés, pour lesquelles, malgré ce, le travail est toujours tourné
vers une sortie. L’espoir est au bout de l’action, le processus est
motivé par une amélioration des conditions de vie, les maisons d’accueil
et de convivialité de Sao Paolo sont là pour en attester, les formes
collectives de travail, la participation des populations aux mouvements
sociaux organisés, sont perçus comme des leviers possibles de
ré-inscription sociales.
L’animation a aussi été évoquée
comme un concept creux, pris dans une distorsion entre marché et service
public, entre économie libérale et éducation populaire. Les réalités de
l’éducation populaire en France ont été décrites à partir d’une rupture
de celle-ci avec la question politique, rupture qui se traduit par une
dépolitisation de l’éducation populaire, qui ouvre ainsi un espace aux
initiatives de la société civile, telle celle du forum social européen.
Cet espace politique reste un espace à ré-investir, processus qui
demande une ré-appropriation du discours politique par les associations
au risque de leur disparition.
Loin d’une affirmation d’excellence,
mais plus proche d’un constat de lucidité, il est affirmé que
l’éducation populaire ne doit pas seulement s’appuyer sur des
identifications et des affirmations basées sur des appartenances
institutionnelles, mais ne vaut que ce que valent les pratiques qui s’en
revendiquent. La question de la dynamique participative est posée. La
question, dans le cadre des diagnostics par exemple, de la volonté de
dépasser la simple réponse à une commande publique en montrant des
capacités à interroger cette même commande l’est également.
L’animation a été présentée aussi
dans une perspective d’aménagement du territoire inversé, c’est-à-dire
non plus de régulation mais de structuration de ce territoire.
L’animation au secours du territoire, ou, lorsqu’il ne reste plus grand
chose, l’animation devient vecteur de développement local économique et
social. C’est ainsi que l’on a appris que l’on pouvait sur les terrils
du nord de la France faire du ski sans neige, des courses de voitures
sur glace sans glace et peut-être même de l’animation sans animateur ?
Les relations entre le sport et l’animation ont été évoquées,
l’émergence de nouvelles formes de pratiques également. La question de
la délégation des politiques publiques a été posée, question paradoxale
lorsqu’il s’agit de savoir comment définir une réponse face à une
demande qui n’est pas exprimée ?
Plus loin encore, les collectivités
locales ont-elles vocation de s’engager dans des projets de
développement local ? Se pose alors la question de l’utilisation de
l’argent public et de la fragilité des effets d’entraînement qu’il peut
produire.
Nous avons, dans cette logique,
évoqué les « projeto de desenvolvimento local » menés à Rio de Janeiro,
projets de développement local élaborés à partir de la constitution d’un
forum local, espace de parole, « de mobilizaçao » et de
« participaçao », des habitants. Même si les difficultés sont réelles,
même s’il reste complexe de réunir et de faire s’accorder les acteurs,
le forum local apparaît en prise réelle sur l’espace social et la
réalité sociale.
Il semble crucial que les
communautés ici, les populations là ou encore les publics ailleurs,
deviennent les acteurs du territoire. C’est ainsi que pour certains se
refuser à parler des besoins, c’est surtout pouvoir parler des
potentialités. Si l’on considère les publics comme effectivement
porteurs de savoirs, alors « l’animateur gagne à devenir
accompagnateur ».
La question du rapport entre
l’animation et l’action est ainsi perçue dans une relation dialogique
entre processus et produit fini, l’importance et la primauté du
processus étant bien sûr affirmées.
On a vu, également à Rio de Janeiro,
que les quartiers où les indicateurs de développement humain étaient les
plus faibles étaient justement ceux qui étaient le plus pauvrement
équipés en établissements culturels. A la question de savoir s’il
fallait faciliter l’accès des populations aux lieux culturels ou
rapprocher les lieux culturels des populations, la réponse est sans
concession : les deux bien sûr.
Si les activités en général, et
celles culturelles en particulier, sont unanimement considérées non pas
comme des finalités, mais comme des moyens du changement, elles ont été
pensées dans une forme de changement de paradigme :
Le premier, celui du contrôle
social produisant le renforcement et la promotion de la culture
dominante est remplacé par un second, celui du contrôle culturel
(sous entendu la mise en œuvre de productions dans une forme de norme
culturelle) pouvant produire de la promotion sociale.
La limite du processus, à méditer
pour nous tous, étant celle qui part du constat que cette mise au
travail social des activités culturelles et/ou interculturelles, est un
espace idéologique qui permet de légitimer l’intervention des animateurs
professionnels : s’il produit des effets de promotion sociale, c’est
surtout celle de ces animateurs et moins celles des populations a priori
concernées.
Mais le
rêve devient parfois drame. Ce terme a été employé pour définir
certaines carences relatives au manque de formation des acteurs. Ce
drame est aussi du côté des instituts de formation qu’ils soient
universitaires ou associatifs parce qu’ils participent parfois par leurs
faiblesses à la fragilité de ces acteurs qui devraient être nettement
plus armés afin d’affronter la complexité des réalités professionnelles
et sociales auxquelles ils sont confrontés. Cette question de formation
a été particulièrement évoquée en rapport à « l’encadrement de
nouvelles formes de pratiques », la nécessaire structuration de ces
pratiques n’étant pas affirmée.
Une invitation aux voyages enfin a
été proposée dans l’antre des musées, perçus comme des espaces « extra
– ordinaires » qui permettent la mise en relation entre l’ici et
l’ailleurs, entre l’un et l’autre, mais qui présentent aussi le risque
d’une mise en scène « in vitro » coupée de toute réalité sociale et
culturelle. Le combat est ainsi engagé entre les tenants de l’esthétique
culturelle et ceux de la représentation du monde, entre les défenseurs
de la dimension sensorielle et ceux de la dimension éducative.
C’est ainsi que l’on a appris que
les indiens Navajo « ne veulent plus être étudiés », que les indiens
Blackfett revendiquent que « l’histoire indienne soit écrite du point de
vue des indiens » eux-mêmes. Combien d’analogies peut-on trouver à la
surface de la planète « Terre », combien de métaphores serait-il
possible de tisser pour illustrer la dialectique entre local et global,
entre dominés et dominants… ?
Et de conclure que l’approche du
musée, de même que celle de tout lieu socioculturel, peut être perçue
non pas comme un symptôme de domination, mais comme un espace
d’avant-garde pour de nouvelles voies de rencontre, de redéfinition et
de dialogue.
Je parlais de rêve en introduction
du propos. Il faut noter encore que le rêve de tous, s’il a eu lieu, a
été aussi permis par l’effort de régulation du temps de parole accepté
par chacun. Je devine, pour les participants de cet atelier, que vous
devez être aujourd’hui frustrés par les absences et les non-dits de ce
compte rendu. Sachez que je le suis avec vous, peut être plus encore, et
pourtant je me dis qu’il nous reste encore du temps pour rêver. Je
conclurai à mon tour par cette citation de la Romancière Autrichienne
Marie Von Ebner Eschenbach : « ne te crois pas pauvre parce que tes
rêves ne sont pas réalisés, le vraiment pauvre est celui qui ne connaît
pas le rêve »…
Je vous remercie.
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