L'animation en France et ses analogies à l'étranger
théories et pratiques - état de la recherche
RAPPORT ATELIER B


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BENEVOLAT , VOLONTARIAT ,
ENGAGEMENT ET PROFESSIONNALISATION DES ACTEURS.
QUELLES FORMATIONS ?

RAPPORT ETABLI PAR YVES RAIBAUD,
maître de conférences associé à l’IUT Michel de Montaigne (Université de Bordeaux 3)

Vingt intervenants se sont succédés autour des thématiques de cet atelier, cinq femmes et quinze hommes de sept nationalités différentes (Brésil, Colombie, Cuba, France, Portugal, Suisse, Uruguay). La diversité des interventions a témoigné de la richesse des rencontres mais ne permet pas de cerner facilement les contours de ce vaste sujet. Par commodité et pour rendre compte le plus fidèlement possible des interventions, nous proposons de classer les interventions en trois parties :

 

-          Un champ : la formation des animateurs,

-          Une dialectique : bénévole/professionnel,

-          Un espace : Europe-Amérique pour une approche comparative

 

Cette dernière partie tiendra lieu de conclusion pour mettre en valeur l’apport considérable de ce colloque pour l’ouverture d’un nouveau thème de recherche et peut-être d’enseignement pour les formations d’animateurs : l’animation comparée.

 

1.      La formation des animateurs

 

Le thème majoritairement abordé (10 communications sur 20) est celui de la formation des animateurs. Ce thème s’articule cependant avec le suivant (bénévoles/professionnels) par la problématique de la production des savoirs. Si la plupart des intervenants se réfèrent au paradigme de la praxéologie (soit, de façon très succincte, la production des savoirs dans l’action), cette notion ne fait cependant pas l’unanimité et connaît des variantes.

-          La première, illustrée par des intervenants issus d’associations d’éducation populaire revendique une construction des savoirs non seulement dans l’action, mais également par la coopération des acteurs sur le mode des pédagogies non-directives. Les savoirs sont principalement utilisés comme constitutifs d’un langage commun permettant le passage à l’action collective. Cette position est illustrée également par l’exposé de nos collègues suisses sur la construction d’un référentiel de compétences par les animateurs professionnels eux-mêmes.

-          La deuxième position, illustrée entre autres par notre collègue libanaise lors de la conférence inaugurale, considère que la « science animation » doit progressivement cesser d’être construite par les autres sciences – et donc par d’autres professions - pour être assumée par les animateurs en tant qu’ils sont historiquement en train de construire leurs propres paradigmes et un outillage conceptuel particulier.

-          La troisième position affirme plus ou moins la nécessité d’une objectivation de la connaissance par la référence à des espaces scientifiques détachés de l’action. Cette position connaît des variantes selon que les intervenants se réclament de telle ou telle discipline scientifique (anthropologie, sociologie…), mais aussi selon les systèmes institutionnels qu’ils représentent (option « animation » d’une école d’éducateur, université populaire, institution privée ou publique), et enfin selon les pays d’où ils viennent (Brésil, Portugal, Cuba).

 

Ainsi, pour un intervenant du Portugal tourné vers les actions de développement local, la culture est l’espace prioritaire permettant l’affirmation de l’identité de l’animateur et des publics. Pour notre collègue de Cuba, l’analyse scientifique des enjeux politiques et sociaux milite dans le sens d’un système rationnel d’éducation populaire dans lequel la libération de l’individu passe par son accès facilité à l’ensemble des connaissances et des pratiques culturelles. De façon plus détaillée encore, un intervenant suggère qu’il existe plusieurs catégories de connaissances relatives à la professionnalisation des acteurs. L’accroissement de la pauvreté et des situations d’urgence, renforçant la nécessité d’accroitre le contrôle social des populations,  serait à l’origine de la création d’un corps d’experts en sciences sociales capables de construire des concepts opérationnels (tels que : développement durable, proximité, interculturel…) dans lequel le problème et la solution sont envisagés globalement. Cette constatation renforce l’hypothèse épistémologique de la nécessité d’une rupture entre différentes catégories de connaissances : même si l’expertise est nécessaire et efficace dans la constitution des croyances communes à une profession, elle ne peut avoir le même statut que les connaissances qui sont issues de la recherche en sciences sociales. Cette affirmation contient aussi l’idée que la constitution des savoirs dans l’action ne permet pas toujours de discerner la part des idéologies dans la construction de ces savoirs, voire qu’elle empêche l’objectivation d’un savoir critique (ou tout au moins distancié) sur la profession.

 

2.      La dialectique bénévole/professionnel

 

Cette constatation introduit le deuxième mode de lecture des interventions de l’atelier, celui qui met en tension le rapport bénévole/professionnel et fait plus largement appel aux notions de volontariat ou d’engagement. Le statut des connaissances ne peut être dissocié de la problématique de la compétence de l’animateur dans laquelle l’ensemble des intervenants relève qu’elle est fondée sur des valeurs. « Sincère, cultivé, démocrate » pour un collègue portugais, « engagé, militant, collectif » pour d’autres collègues, presque tous mentionnent que l’animateur ne peut passer à l’action sans « ressources éthiques » qui relèvent du catalogue des bonnes intentions : « démocratie, instruction, émancipation, intérêt général, bénévolat, paix, fraternité, bonheur… ». Ces valeurs cumulées s’enrichissent au fil des temps de nouvelles venues : un intervenant mentionne comme valeur « développement durable, proximité… », ce qui rejoint en partie le constat fait précédemment de la frontière fragile entre valeurs et concepts opérationnels.

 

Une autre orientation qui nous est proposée tend à analyser le passage de la militance (condition d’entrée dans l’action) à la professionnalisation par le biais de la rémunération comme « compensation de l’énergie dépensée ». Ce passage pose la question du décalage entre ce que l’employeur attend d’un animateur et ce que celui-ci produit en rapport avec ses « ressources éthiques ». Le décalage peut être source d’une tension qui s’accroît si l’attente de l’employeur se réfère à une qualification annoncée. Cette tension peut être analysée comme souffrance. Devenir animateur pourrait alors consister à apprendre à s’accoutumer à celle-ci, soit en référence à une psychologie de l’adaptation de l’individu au travail, soit par une approche plus marxiste qui analyserait cette souffrance comme une dialectique productrice tout à la fois de biens et de rapports sociaux.

 

La dynamique contribution de la CGT nous rappelle à l’ordre en dénonçant la dérive ultra-libérale des employeurs de l’animation, consignée dans un livre noir à paraître prochainement : certes le secteur de l’animation est en pleine expansion, mais ce secteur se construit dans la précarité et l’acceptation des normes les plus basses : contrats à durée déterminée renouvelés, vacations occasionnelles, horaires non respectés, contractualisation permanente dans la fonction publique, etc. Le secteur associatif est particulièrement visé. Les valeurs de l’association sont mobilisées pour justifier des comportements antisociaux, produisant des discours tels que « on ne peut pas augmenter les salaires car il faudrait augmenter les participations des usagers et ce ne serait plus de l’éducation populaire » ou bien « la municipalité ne peut pas augmenter la subvention, donc c’est ça ou disparaître », etc. Dans cette optique on ne peut ignorer l’hypothèse qu’idéologies et valeurs auraient des fonctions dérivées permettant d’obtenir la meilleure rentabilité des salariés animateurs dans une optique de productivité, même s’il s’agit d’une production sociale. Le simple refus de ces notions (la productivité, le marché) dans le champ de l’animation est un indicateur de l’impensé qu’elles recouvrent, alors que les employeurs d’animateurs tendent à devenir de plus en plus des prestataires de services répondant aux appels d’offre publics (ou d’organisations parapubliques ou non gouvernementales). L’animation apparaît de cette façon comme un nouveau métier constamment dérégulé par une offre publique qui se soustrait généralement aux contraintes du droit du travail en multipliant les exceptions et les dispositifs temporaires. Les animateurs peinent ainsi à constituer une catégorie professionnelle structurée dans des rapports dialectiques avec des employeurs habitués à ruser en utilisant un discours pétri de valeurs.

Un autre intervenant indique l’urgence qu’il y a d’introduire un espace critique à l’intérieur des formations par un enseignement qui permettrait à l’animateur d’analyser les contradictions voire les identités plurielles de sa profession à l’aune des mécanismes d’instrumentalisation dont elle subit plus que jamais les effets. L’espoir d’une « conscientisation » d’un prolétariat de l’animation passe-t-il par la structuration de la profession avec ses hiérarchies, les références à des qualifications réelles et non relatives uniquement à des fonctions, des compétences, des « ressources éthiques » ? Que resterait il alors des animateurs s’ils se défaisaient du « sens de l’action » ?

 

3.      Une approche comparative

 

Le troisième mode de lecture de l’atelier est l’analyse comparative du traitement des sujets proposés selon les pays. La contribution d’une collègue anthropologue peut ouvrir cette partie de la synthèse. La lecture de l’ « autre » au travers de ses analogies (avec soi) peut apparaître comme un point de vue réducteur dans une perspective anthropologique. La possible rencontre de la discipline anthropologie et de la profession pourrait être au contraire (toujours selon notre collègue) d’une grande utilité aux animateurs pour comprendre ce qui se joue autour de l’appellation « animateur », ce qui se joue avec les publics, comment cette profession s’organise dans des sociétés différentes, etc. L’animation peut apparaître à son tour comme une pratique culturelle. Les postures changent : on choisit l’immersion dans les milieux, on « se mouille » au risque de l’ « identification » ou de la « manipulation ». A l’inverse l’obstacle à l’efficacité de l’animateur, c’est le « malentendu culturel » qui peut être entretenu par des concepts opérationnels forgés par l’expertise : on parle « d’aire maghrébine », de « culture africaine » ; l’« interculturel » devient une notion englobante qui schématise dans des concepts opérationnels des réalités complexes et oriente l’animateur vers des interprétations stigmatisantes. Le colloque dont fait partie cet atelier court ce risque : comment comprendre l’intervention de notre collègue portugais  - justement anthropologue - si l’on ne situe pas son action dans un Alentejo rural, dans lequel la notion de développement local (social et économique) s’articule très fondamentalement avec le patrimoine et les arts et les traditions populaires ? Comment utiliser l’apport spectaculaire de notre collègue cubain, sa conviction sur l’efficacité future des universités populaires qu’il développe sans le replacer dans un langage, une histoire politique, un contexte économique et géopolitique ? Il n’est pas sûr que le langage commun de l’animation professionnelle soit suffisant pour permettre la réalisation d’une traduction qui rende compte des différences importantes qui existent entre l’exemple guatémaltèque et celui du Brésil ou de l’Argentine, mais aussi entre l’exemple d’une construction collective d’un référentiel de compétences en Suisse (en l’absence de toute préconisation de l’Etat) et la prescription descendante de référentiels de formation construits par les administrations centralisées en France ?

La communication faite sur le transfert d’une formation d’animateurs socioculturels en Guyane française inaugure une réflexion sur les enjeux de ce qui pourrait fonctionner, malgré de bonnes intentions, comme une classique transposition des anciens rapports coloniaux. Une des participantes de l’atelier ne faisait-elle pas remarquer son badge sur lequel est inscrit son nom avec la mention « France-Guadeloupe » (pourquoi pas France-Bretagne)? A l’inverse, la fraternité professionnelle qui s’exprime dans le colloque rend ses participants plus sensibles aux comparaisons qui les rapprochent et aux nouvelles perspectives de connaissances qui en découlent qu’à ce qui les opposeraient, par exemple dans une confrontation Nord-Sud. On peut trouver là quelques indices d’un fondement d’une culture commune de l’animation professionnelle, idée que les participants de l’atelier « bénévolat, volontariat, engagement et professionnalisation des acteurs, quelles formations ? » n’ont à aucun moment contestée, bien au contraire, pendant les six heures d’exposés et de discussions de cette journée.

 

 

L’ANIMATION EN FRANCE ET SES ANALOGIES À L'ÉTRANGER Théories et pratiques - état de la recherche
1er COLLOQUE INTERNATIONAL EUROPE / AMERIQUE - 4 / 5 / 6 Novembre 2003 - BORDEAUX (FRANCE)
organisé par le DEPARTEMENT CARRIERES SOCIALES (option Animation Sociale et Socioculturelle) de l'IUT MICHEL DE MONTAIGNE - UNIVERSITE DE BORDEAUX 3

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