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DES
PERSPECTIVES À POURSUIVRE AUTOUR DES ENJEUX SUR L'ANIMATION :
BILAN
D'UN COLLOQUE EN FORME D'OUVERTURE
Par
Jean-Pierre Augustin
Professeur à l'université Michel de Montaigne-Bordeaux3
Prendre la parole à la
fin d'un colloque constitue une position privilégiée car elle permet
d'avoir une vision d'ensemble des interventions, des débats et des
échanges qui ont eu lieu tout au long de ces journées. Trois jours d'un
rassemblement international réunissant plus de 200 participants et près
de 100 communications réparties dans quatre ateliers et plusieurs panels
ne peut cependant pas se résumer en quelques lignes. Il reste possible
de proposer trois entrées concernant un premier bilan et ouvrant des
perspectives à poursuivre. Entrées largement dialogiques car elles
n'expriment pas qu'un ressenti personnel mais témoignent d'interactions
multiples.
Trois mots pour un
premier bilan
Le premier mot qui vient
à l'esprit est celui de satisfaction. Pourquoi cacher le plaisir éprouvé
tout au long du colloque, plaisir de retrouver des connaissances, des
collègues, des amis. Plaisir aussi d'accueillir ceux qui venaient de
loin, des quatre coins de la France, des quatre coins d'Europe et des
quatre coins du monde. Grande satisfaction ensuite pour la qualité des
propos entendus, des interventions prononcées et de la richesse des
échanges. Dans leur diversité, dans leur enracinement particulier, mais
aussi dans les liens établis, les discours et les questions posées
donnaient sens à des interrogations communes. Plaisir aussi des émotions
partagées dans les moments festifs, les repas et en particulier la
soirée partagée avec les acteurs, les chanteurs et les musiciens.
Satisfaction enfin, après des mois de préparation et d'organisation du
colloque, de mesurer qu'il avait atteint les objectifs fixés.
Le deuxième mot est
celui de frustration. Il n'est pas contradictoire avec le premier, mais
au moment de se séparer, il prend toute sa force. Après trois jours
d'effervescence et de contacts, on mesure que les liens établis risquent
de se distendre. Un colloque est toujours trop court, on se connaît à
peine et il faut se séparer. Ce sentiment est d'autant plus fort que
l'ouverture internationale était large. Heureusement, cette frustration
est compensée par les suites qui sont maintenant envisagées et la
volonté de renforcer les relations personnelles et institutionnelles.
Le troisième est donc
prolongation. Non pas au sens d'une prolongation sportive qui implique
de trouver une fin mesurable à une compétition, mais au sens d'une
continuation. Des liens personnels et institutionnels existaient déjà,
d'autres se mettent en place et des échanges d'adresses, d'invitations
mutuelles ont été une des marques de ce rassemblement. Cette volonté de
prolongement s'est concrétisée lors de la rencontre proposant la
création de réseaux autour de l'animation. Outre le réseau français déjà
constitué, plusieurs sont en gestation sur le plan international : un
réseau européen sur l'animation (RESA), un réseau américain (RESAM) et
un réseau africain (RESAF). Cette organisation réticulaire est envisagée
à partir de pôles qui pourraient s'établir au Brésil, au Québec, au
Cameroun et en Tunisie et se développer en réseaux interconnectés autour
du site Internet de l'ISIAT. La carte des participants au colloque tisse
déjà la toile des liens existants sur plusieurs continents.
Les analogies autour
de l'animation
La question centrale du
colloque était celle de l'animation et de ses analogies. A-t-on réussi à
progresser dans ce sens? Sans aucun doute les échanges et les débats ont
permis de mieux comprendre ce qui, au-delà des mots, fondait les formes
d'action collective. Mais nos histoires, nos cultures, nos modes
d'intervention sont tellement différents que le chemin sera encore long
pour arriver à une parfaite compréhension. Aucun mot ne réussit à
résumer la diversité des formes d'action entreprise. Animation, culture
et éducation populaire, loisir, organisation communautaire, vie
associative, temps libre, autant de mots familiers qui procèdent d'un
idéal commun dont il est possible de montrer la filiation avec des
valeurs qui servent de trait d'union entre passé et avenir. Voilà plus
de vingt ans que j'essaie avec mes amis québécois de réfléchir à cette
question. Nous avançons lentement et le panel sur l'animation en France
et au Québec, qui a réuni plus de 80 participants, a montré, une fois
encore, que nous ne mettons pas le même sens sur les mots, en
particulier autour des concepts de communauté et d'animation. Les
actions communautaires, si présentes dans le paysage québécois semblent
cependant souvent proches des formes d'animation si présentes en France.
L'organisation
communautaire est définie par Jean-François Médard (1) "comme une
méthode de changement social planifié au niveau local qui repose sur la
participation des habitants à leur propre changement, sous l'influence
et la stimulation d'animateurs professionnels". En France, une des
premières définitions de l'animation formulée par Jean-Paul Imhof la
présente "comme une action volontaire sur la vie d'un groupe pour
améliorer les relations à l'intérieur de ce groupe et augmenter la
participation de chacun à la vie du groupe". Bien d'autres approches
sont possibles, mais celles-ci soulignent déjà qu'il s'agit toujours
d'une volonté d'améliorer les formes de participation et d'action
collective.
Les propos introductifs
de Marcel Boole de Bal ont montré les besoins de reliance qui
conditionnent le vivre ensemble (2). Ces besoins sont d'autant plus
forts que ce vivre ensemble est malmené par des processus socioculturels
qui innervent l’ensemble de la société. Sans les développer plus avant,
cinq d’entre eux ont souvent été soulignés : celui de la mobilité
accélérée qui favorise un changement d’échelle remettant en question la
distance physique comme indice de proximité sociale ; celui de la
rétraction du social qui correspond au délitement de l’organisation
traditionnelle au profit d’un espace de parcours entre de multiples
lieux ; celui de la multiplication des moyens d’information et de
communication qui agit dans l’espace social au détriment des relations
personnelles directes ; celui de la remise en cause de l’intégration par
le travail qui a longtemps été un des fondements de l’organisation
sociale ; et enfin, celui de l'individuation qui devient un principe
fondateur se distinguant de l'individualisme conçu comme un repli sur
soi.
Si
l'on s'arrête un instant aux mutations des temps sociaux, les chiffres
parlent d'eux-mêmes. En France, les historiens estiment qu'en 1900 le
temps de travail moyen pour un individu était de 200000 heures par an
(40 % du temps de vie) et le temps libre (hors sommeil et hors travail)
de 100000 heures. Un siècle plus tard, le temps de travail est réduit à
67000 heures (10 % du temps de vie) et le temps libre représente 400000
heures (dont 100000 absorbés par l'écoute de la télévision). Le nombre
d'heures travaillées a été diminué par trois et le temps libre multiplié
par quatre. Une véritable révolution que Joffre Dumazedier avait
annoncée sans être toujours écouté (3). Mais, dans ce contexte,
l'animation et ses analogies ne peuvent se réduire à organiser les temps
libérés et plusieurs intervenants ont souligné que "l'animation ne
consiste pas à remplir un vase mais à allumer un feu".
Critiques et enjeux de l'animation
Les
débats sur l'animation, l'organisation des loisirs et du temps libre
sont anciens. En France, la revue "Les Cahiers de l'animation" a enrichi
les réflexions en cherchant à cerner les contours d'un concept
fluctuant, à prendre en compte l'évolution des réalités sociales et à
saisir les enjeux des activités d'animation (4). La revue "Agora,
débats, jeunesse" qui lui a succédé poursuit ces analyses et apporte une
contribution aux questions concernant l'animation et la vie associative
en France et dans le monde (5). Les débats sur l'éducation populaire ont
été réactivés au tournant des années 2000 par l'offre publique de
réflexion du ministère de la Jeunesse et des Sports qui, lancée en 1998,
a permis de réaliser un état des lieux sur le rôle de la culture dans la
transformation sociale (6). Les réflexions menées par 125 groupes de
travail répartis sur le territoire ont été rassemblés dans un livre
blanc de l'éducation populaire (7) qui affirme qu'elle ne doit pas se
borner à occuper le temps libre mais doit relier des savoirs fragmentés
pour transformer la société. Comme le note Luc Carton : "L'heure
n'est plus d'ingérer des activités ni de se limiter à conduire un
travail social de réparation. Il s'agit de refonder l'éducation
populaire comme un processus de création collective de savoir critique,
une mobilisation populaire de l'intelligence et de la sensibilité des
groupes exploités, aliénés et dominés, pour nourrir la transformation
sociale et politique par une action collective produite à partir de
l'expression, de l'analyse et de la capacité de débats de ceux qui sont
précisément victimes du libéralisme". Le colloque de Montpellier en
octobre 2003, intitulé "À quoi sert l'animation aujourd'hui ?" s'est
aussi interrogé sur la capacité de l'animation et de l'éducation
populaire à trouver des réponses aux nouvelles questions sociales.
Les organisateurs du colloque de Bordeaux, qui ont largement participé à
ces réflexions sur l'animation et l'éducation populaire, ont pris en
compte l'ensemble des questionnements évoqués et cherchés à élargir
débat au plan international. Les thèmes retenus pour les quatre ateliers
:
A : Animation, citoyenneté, marché te démocratie
B : Bénévolat, volontariat, engagement et professionnalisation des
acteurs.
C : Animation, développement, territoires et gouvernances locales
D : Éducation populaire, temps libre, récréation et animation
témoignent de cette volonté d'ouverture et de la nécessité de poursuivre
la réflexion critique sur la question sociale, sur les modes
d'intervention et sur les enjeux de l'animation et de l'éducation
populaire.
Les références à Tocqueville et à Marx n'ont pas manqué, mais nous
avons changé de siècles. Les injustices, criantes dans l'hexagone,
évoquées lors du panel consacré à la politique de la ville ont montré, à
la fois, les actions entreprises et les résistances aux changements. Ces
résistances sont apparues encore plus visibles dans les communications
consacrées à l'Amérique latine et à l'Afrique. Elles prennent des formes
diverses selon la sensibilité accordée aux quatre variables suivantes :
le rapport global-local, le rapport privé-public, le rapport
gouvernement-gouvernance et le rapport autonomie-hétéronomie.
Face à ces enjeux, l'animation reste marginale tant que les défis
concernant la société ne seront pas traités qu'il s'agisse d'une
démocratie à redéfinir, des inégalités à réduire, d'une économie à
soustraire du carcan d'un ultra-libéralisme économique et financier.
L'animation participe cependant d'une dénonciation de la légitimité d'un
monde en construction et elle y offre un espace d'imagination réaliste.
Elle n'est pas un mouvement produit par des marchands de rêve et reste,
potentiellement, une médiation mobilisatrice entre une réalité
environnante et une conscience critique (8). Tout n’est donc pas déjà
écrit, et beaucoup reste à faire pour imaginer des formes d'actions
collectives compatibles avec les aspirations de l'ensemble de la société
et particulièrement avec celles des plus défavorisés. Le vivre ensemble
reste une urgence politique, au sens fort du terme, avant d'être un
objet d'analyse si l'on admet que la société n'est pas seulement une
situation, une organisation, mais une action.
(1)
MÉDARD (JF), Communauté locale et organisation
communautaire aux Etats-Unis, Armand Colin, 1969 (Cahier 172 de la
fondation nationale de science politique)
(2)
BOLLE de BALE (M), Voyage au cœur des sciences
humaines, De la reliance, Paris, L'Harmattan, 1996, 2 tomes
(3)
DUMAZEDIER (J), Révolution culturelle du temps libre
1968-1988, Paris, Méridiens-Klinscksieck, 1988
(4)
Les chemins de l'animation : 1972-1987, numéro spécial
61-62, Les cahiers de l'animation, 1987
(5)
AGORA, débats/jeunesse, Institut national de la
jeunesse et de l'éducation populaire, 32 n° parus
(6)
LEPAGE (F), Le travail de la culture dans la
transformation sociale, rapport d'étape, Janvier 2001
(7)
LETERRIER (JM), Citoyens, Chiche ! Le livre blanc de
l'éducation populaire, Paris, éditions de l'Atelier, 2001
(8)
AUGUSTIN (JP) ET GILLET (JC), L'animation
professionnelle : histoire, acteurs, enjeux, Paris, L'Harmattan,
2000.
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