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CONCLUSIONS du COLLOQUE
par Jean-Claude GILLET
Je crois que nous n’avons
pas évité nos différences, voire nos conflits à l’intérieur du colloque, de
façon apaisée mais ferme, autour de la question de la définition de
« l’animation et (de) ses analogies à l’étranger » : et nous avons bien fait
puisque « l’art de vivre ensemble ressemble plus à une lutte qu’à une
danse », même si par ailleurs le hip-hop et la capoiera nous montrent que
les deux sont intimement mêlés.
Nous avons participé d’un mouvement social au cours de ces quelques
jours à plusieurs titres, reprenant ainsi des dérivés de mouvoir et
se mouvoir, à partir du latin moveo
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nous avons vécu des
émotions, des rencontres qui remuent le cœur et nous ont touché
affectivement
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nous avons sondé nos
mobiles, nos motifs et nos motivations dans le déroulement
de cette initiative et de la force qui nous y animait. Comme l’écrit
Jean-Paul Sartre : « les mots ne sont impuissants que lorsque d’abord les
hommes admettent qu’ils le sont ». Ce colloque a été un lieu de paroles qui
nous incitent à prolonger la démarche.
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Nous n’avons pas provoqué
d’émeute, mais nous savons comme le chante Manu Chao que « la
résignation est un suicide permanent ».
Je veux rappeler ici que la fonction d’animation est une fonction collective
ce qui la distingue de beaucoup d’autres approches plus classiques du
travail social. A cet égard le nombre de métiers qui coexistent dans ce
champ (une quinzaine, sans compter les emplois-jeunes aux intitulés plus
bariolés les uns que les autres, ni les tentatives de nouveaux métiers liés
à la politique de la ville) a toujours surpris mes interlocuteurs
latino-américains. La division du travail que révèle cette diversité prend
parfois des dimensions étonnantes, mais nous avons à l’inverse l’avantage de
pouvoir affirmer que les seuls professionnels qui se revendiquent d’une
démarche et d’une approche collective sont les animateurs. Il ne faut
absolument pas qu’ils abandonnent cette caractéristique qui constitue leur
culture et leur idéologie, les distinguant de façon originale des autres
métiers du social et du culturel.
Je vous propose aussi de revenir sur la question de la « nouveauté » :
nouveaux contextes, nouveaux métiers, nouvelles formations, etc. Certes la
nouveauté fait souvent peur à l’image de cette remarque acide de Victor
Hugo, à propos de la bataille d’Hernani : « Les vielles noix n’aiment pas
qu’on secoue les arbres ». Partant à la retraite dans quelques jours, vous
n’aurez pas à provoquer ma chute ! Permettez-moi donc de vous dire que,
comme le suggèrent les sociologues Hess et Authier, le nouveau n’est jamais
que de l’ancien recyclé. Ceci signifie que le champ de l’animation
professionnelle d’hier perpétue l’héritage issu de l’Education Populaire,
fait de valeurs liées aux luttes contre les inégalités et les injustices.
Mais en même temps, comme l’explique Michel Cornaton, chercheur en sciences
de l’éducation, pour les enseignants que nous sommes, la formation n’est pas
ni une conformation, ni une déformation, mais une recherche de
transformation (réciproque d’ailleurs entre le formateur et l’apprenant par
les interactions produites). Tout projet pédagogique est révélateur d’un
projet de société et l’approfondissement de la démocratie est un projet bien
actuel au sens où Albert Camus le propose : « L’avenir n’est pas une
amélioration, c’est autre chose ». Le marché étouffe la démocratie : il faut
changer de cap.
Plusieurs parmi vous ont souhaité à juste titre que le caractère
scientifique de ce type de manifestation reste fortement présent : ils ont
raison et en même temps je ne peux m’empêcher de me souvenir de cette phrase
du sociologue Ehrenberg : « Le XIX° siècle avait les curés. On a maintenant
les sociologues et les économistes. A chaque époque ses marchands de
somnifère ». Ceci signifie qu’il faut que nous associons aux chercheurs
patentés encore plus largement ces producteurs de savoirs théoriques
d’action que sont les responsables d’associations, les volontaires et les
militants, les bénévoles et les professionnels.
A propos des contradictions qui nous traversent, il me semble essentiel
aussi de rappeler à vous tous que ce qui peut différencier nos points de
vue, ce ne sont pas les valeurs de référence, mais plutôt les stratégies que
nous élaborons pour atteindre des objectifs communs. L’histoire générale des
groupes, des institutions, du mouvement ouvrier et populaire montre, me
semble-t-il, que ce sont les moyens et les méthodes qui ont divisé les
acteurs et non pas la description de la société idéale qu’ils cherchaient à
construire. Et c’est vrai que la question du pouvoir (qu’il soit associatif
ou d’Etat, de parole ou de lobby) est en enjeu complexe, car, comme le dit
un proverbe brésilien (dont j’espère qu’il n’a pas été créé pour les
circonstances particulières de l’exercice du pouvoir par Lula, au nom du
P.T. au Brésil) « Quand on est dans l’opposition, on est aussi solide que la
pierre ; quand on est au gouvernement, on devient fragile comme du verre ».
Cette façon de penser peut modérer la différence de nos visions, tout en
restant fidèles à l’utopie réaliste que représente l’animation en France et
ses analogies à l’étranger. Mon apparentement personnel à une perspective
praxéologique m’incite à accepter notre enrichissement mutuel entre ceux
« qui voient les choses comme elles sont et qui se demandent pourquoi » et
ceux « qui rêvent les choses comme elles n’ont jamais été et qui se
demandent pourquoi pas »(Bernard Shaw).
De toutes façons, devant l’ampleur de la crise mondiale, l’heure nous
encourage au débat dans la fraternité, car « il ne sert à rien de discourir
sur la façon dont va couler le bateau, seuls importent la passion et même
l’enthousiasme avec lesquels écoperont et répareront les brèches, même en
grand débordement, ceux qui n’ont ni peur de vivre, ni de mourir »(Pierre
Rhabi).
Ce débat nous le poursuivrons à Sao Paulo en 2005.
Jean-Claude Gillet
Bordeaux, le 6 Novembre 2003
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